Un exemple d’insurrection citoyenne : le Réseau Education Sans Frontiéres

dimanche 10 février 2008

Article pour la revue Empan

Quelques interrogations préalables...

Précisons en premier lieu que présent article se situe aux marges du travail social et de la pratique professionnelle.

Aux marges du travail social, car il traitera d’une forme de mobilisation citoyenne, en réaction à des pratiques administratives, policières, judiciaires et politiques. A la différence du travail social, à l’inverse pourrait-on écrire, le RESF ne s’inscrit pas dans la perspective d’une politique publique, ne répond pas à une commande, ne respecte pas des textes, des règlements... au contraire ! Il s’oppose, de fait à la mise en œuvre d’une politique publique dont, à l’instar d’une majorité de citoyens, il doute de l’humanité, de la justesse humaine, politique...

Aux marges de la pratique professionnelle également, car je ne parlerai ici que de bénévoles organisés dans un dispositif horizontal, non hiérarchisé. Si des permanents associatifs, syndicaux sont aussi engagés dans les actions et la vie du réseau, ils n’ont aucune autorité institutionnelle sur ses décisions et plus largement son fonctionnement, et ils ne constituent qu’une infime minorité de ses composantes, l’ensemble fonctionnant sur une logique, un rythme militant et bénévole. Dans ce cadre, la légitimité de chacun ne se fonde pas sur sa technicité, sa qualification, ses compétences labellisées mais sur son engagement, sa capacité à donner de son temps, de son énergie, la justesse de ses positions...

Dès lors, pourquoi témoigner de cette expérience dans le cadre d’une revue centrant sa réflexion sur « le travail social en quête de sens » ?

Une première réponse est donnée par les responsables de la revue eux-mêmes qui ont jugé que relater l’expérience du Réseau Education Sans Frontières avait une utilité quant à la réflexion collective à la quelle ils souhaitent être partie prenante.

Pour ma part, professionnellement impliqué dans le travail social et dans la problématique choisie pour ce numéro d’Empan, après un moment de perplexité, finalement deux raisons m’ont amenés à rédiger le texte qui suit :

• parce que, disons le sans ambages, il constitue une occasion de populariser le combat de RESF qui a besoin d’être connu chaque jour davantage et de mobiliser toujours plus de citoyens face à une politique qui n’en finit pas de se durcir ;

• parce que l’expérience du réseau, aussi éloignée nous l‘avons vu des réalités du travail social, peut aussi donner quelques éclairages quant aux réalités contemporaines d’une mobilisation militante qui n’a pas faibli depuis maintenant deux ans, élargissant régulièrement son assise et qui a fait à diverses reprise reculer le pouvoir d’Etat. Ces éléments peuvent peut-être contribuer à la réflexion des professionnels du social qui, on peut le dire sans cultiver une nostalgie mal venue, ont perdu en militantisme ce qu’ils on progressivement gagné en technicité, j’allais dire en technologie..., et en reconnaissance institutionnelle.

En dernier lieu, soulignons que tant les descriptions que les analyse qui suivent et qui reprendront des éléments d’articles déjà diffusés localement, ne s’appuient que sur les réalités du RESF dans la région toulousain. En effet, une des caractéristiques du réseau étant qu’il connaît des situations sensiblement différentes en fonction des lieux dans lesquels il est implanté et des personnes le constituant localement.

Issu de luttes de terrain, un réseau national ...

Suite à une série de menaces partout en France de reconduites à la frontière et d’interpellations spectaculaires d’élèves à l’occasion desquelles les policiers n’avaient pas hésité à aller chercher des enfants et des jeunes jusque dans les établissement scolaires ou les centres de loisirs, de vigoureuses réactions des personnels, des parents, des citoyens et élus ont permis d’empêcher de telles pratiques vécues comme des infamies. Dans sa volonté d’aggraver sa politique menée contre les sans papiers (durcissement des textes, circulaires visant à améliorer la chasse aux personnes, discours flattant les sentiments les plus à droite et les plus xénophobes...), le gouvernement et son ministre de l’intérieur de l’époque, tout à sa stratégie préélectorale, ont alors franchi une limite symbolique : toucher à des enfants, et qui plus est à l’Ecole ! Dans le fil de cette dynamique s’est alors crée en juin 2004 , à Paris, un réseau regroupant pour l’essentiel des enseignants et des personnels de l’Education Nationale, des parents d’élèves, ainsi que des éducateurs, des citoyens, des collectifs, des syndicats et des organisations de défense des droits de l’Homme. C’est la naissance du Réseau Education Sans Frontières (RESF) qui appelle à la régularisation des familles d’enfants et de jeunes scolarisés ainsi qu’à l’élargissement des actions de soutien, de protection et de résistance. Il regroupe aujourd’hui plus d’une centaine d’organisations, d’associations et de collectifs locaux.

... et une déclinaison toulousaine, RESF 31

C’est en novembre 2005 qu’apparaît publiquement à Toulouse RESF 31, initié par des représentants locaux d’organisation déjà partie prenante du réseau au niveau national, à l’occasion d’une conférence de presse. Il s’est très rapidement défini et présenté comme suit : Le Réseau Éducation Sans Frontières 31 est constitué par des organisations syndicales et associatives, des collectifs, est soutenu par des organisations politiques et regroupe des personnels de l’Éducation Nationale, des parents d’élèves, des militants et des élèves qui militent pour aider à la régularisation des jeunes sans papiers scolarisés sur l’agglomération toulousaine. Il fait partie du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) qui s’est crée en juin 2004 et qui regroupe des collectifs sur la France entière. Ce réseau est constitué et soutenu par une centaine d’organisations, associations, syndicats, collectifs. RESF 31 lance d’emblée un travail de maillage des établissements scolaires en s’appuyant sur les organisation de parents d’élèves et les syndicats d’enseignants. Il s’agit d’identifier tous les cas d’enfants de familles sans papiers bénéficiant du répit accordé par une « circulaire Sarkozy » du 31/10/2005, obtenue grâce à la lutte acharnée des collectifs et du réseau, « protégeant » les élèves jusqu’à la sortie des classes à l’occasion des vacances d’été 2006. Une course contre la montre est alors engagée et, au gré de la vingtaine de collectifs locaux qui se constituent sur des établissements scolaires de l’agglomération toulousaine, des initiatives spectaculaires sont prises. Elles prennent des formes diverses : manifestations, chaînes humaines de protection symbolique dans les établissements, « goûters de résistance » à l’entrée des écoles... s’appuyant sur des cas emblématiques à Toulouse et dans sa banlieue... elles sont alors largement médiatisées et popularisent cette lutte. Il est notable que les groupes locaux connaissent dès le départ un accroissement rapide de leurs effectifs et que les pétitions qu’ils font généralement signer et les réunions qu’ils organisent mobilisent largement la population locale, de façon très ouverte.

Durant cette période, RESF 31 joue un rôle de relais de diffusion (distribution de tracts et de pétitions nationale et locales), d’appui aux mobilisations (documents techniques, séquence de formation) et de coordination dans la circulation des informations. Le fonctionnement quotidien du réseau est structuré à partir d’un noyau limité de représentants d’organisations qui ont été à l’initiative de sa constitution et qui mutualisent les compétences, moyens et contacts. Ce noyau opérationnel, en lien Au-delà de cet appui aux initiatives locales dans cette première étape, qui est la priorité du réseau, s’est aussi organisé un travail d’interpellation publique et de protection préventive :

-  dépôts de pétitions en préfecture, faisant converger à cette occasion les différents groupes locaux donnant l’occasion de manifestations et de rassemblements massifs et spectaculaires ;

-  participation à une manifestation dénonçant l’ouverture du nouveau centre de rétention de Toulouse, doté, c’est une innovation, d’un secteur « familles » permettant ainsi d’accompagner une industrialisation des expulsions et reconduites ;

-  présence visible du réseau lors d’audiences du Tribunal administratif concernant des familles en complémentarité d’un travail systématique de prise de notes réalisé par les associations de défense des droits se concluant par un rapport fortement médiatisé dénonçant le fonctionnement calamiteux de ce tribunal ;

-  interventions d’information et de sensibilisation lors de manifestations culturelles : Marathon des mots à Toulouse, festivals d’été... ;

-  travail systématique de diffusion des actions et de l’état de la situation auprès de la presse locale et nationale qui a été un relais efficace auprès de l’opinion ;

-  organisation de parrainages d’enfants et de leur famille (une soixante à ce jour sur l’agglomération) dans les mairies ou dans des lieux symboliques, engageant des élus locaux et/ou nationaux, des personnalités du monde politique, de la culture, de la recherche, du sport...et de « simples citoyens ».

En parallèle à ces actions spectaculaires, RESF a constitué une « réseau de vigilance », à partir de ses propres membres, des parrains et des marraines engagées, s’appuyant aussi sur les groupes locaux, visant à pouvoir réagir très rapidement en cas d’arrestation et de tentative de reconduite à la frontière de familles considérées comme en situation irrégulière. Les formes de réaction peuvent être multiples, comme cela a déjà hélas eu lieu à d’autres endroits : interpellations massives de la préfecture (téléphone, fax, mails....), manifestation devant les centres de rétention, en dernier recours, intervention dans les aéroports... S’engageant plus loin dans le sens d’une « résistance citoyenne » dans un registre non-violent les signataires des pétitions et appels qu’il a diffusés ont signifié leur intention de désobéir :

« S’ils nous demandent asile, nous ne leur fermerons pas notre porte, nous les hébergerons et les nourrirons ; nous ne les dénoncerons pas à la police. »

Que dire de cette expérience ?

Suite à maintenant pratiquement deux années de fonctionnement, je prendrai le risque, qui n’engage bien sur que moi, de tirer quelques enseignements. Comment expliquer une telle mobilisation, sur une telle durée alors que la défense des sans papiers est un type de mobilisation qui n’a rassemblé qu’exceptionnellement beaucoup de forces militantes ? Comme cela a déjà été évoqué, le fait d’avoir touché à des enfants, sujet sensible s’il en est, et dans les écoles, ce qui ne va pas sans faire écho avec des pages sombres de notre histoire a été une faute lourde du gouvernement. Pour autant, il me semble que d’autres aspects sont à souligner :

-  Le « trop, c’est trop ! » qui est la façon assez partagée qu’ont bon nombre de militants du réseau d’évoquer leur motivation. « J’ai laissé passer plein de choses, de façon fataliste, résignée... mais là, non, c’était pas possible, pas ça ! ». Comme si là, une frontière était franchie, la dimension émotionnelle réactivant d’une certaine façon un positionnement civique et/ou politique dérivant dans l’impuissance et à terme, la soumission. Car c’est bien l’insoumission devant l’inacceptable qui a amené des citoyens, certains sans engagement par ailleurs et pour bon nombre militants désorientés à prendre des risques, fortement revendiqués : il s’agit de « faire quelque chose », en assumant ses positions jusqu’à se mettre en indélicatesse avec des lois toujours plus répressives. Cela consiste à participer à des manifestations, des rassemblements, distribuer des tracts et faire signer des pétitions, mais aussi, pour bon nombre, accompagner les familles en préfecture, assister aux audiences, accueillir chez soi et mettre hors d’atteinte le plus possible de la police... l’éventail d’investissement possible à l’intérieur est très large. Bref, tout ceci constitue un engagement à la fois éthique, politique et concret, dans lequel le sens et sa traduction pratique sont intimement articulés, assorti d’une relative prise de risque qui en constitue comme une forme d’authenticité.

-  L’organisation et le fonctionnement du réseau constituent aussi un aspect important de l’efficacité de l’action. A la fois proche et indépendant des associations, syndicats et organisations, RESF représente une « cristallisation » des indignations et des volontés d’agir suscitées par les arrestations et les politiques menées à l’encontre des enfants scolarisés et leurs familles. Rassemblés sur une revendication simple - « régularisation de toutes les familles sans papiers ayant des enfants scolarisés », « Laissez-les grandir ici ! » - le partenariat est très ouvert, sans exclusive politique a priori, le réseau accueillant toute proposition d’aide, pouvant interpeller tous les élus, hormis bien sur ceux qui s’inscrivent ou exacerbent la politique menée contre les sans papiers. Cette logique fédératrice, unifiant les actions sur des mots d’ordre clairs, dans une bonne transparence interne a largement contribué au fait que l’action du réseau ne connaît à ce jour pas d’éclipse. A ce mode de fonctionnement correspond une utilisation intensive des technologies de communication au service de la démocratie interne par le jeu des listes de discussion et d’une importante réactivité face aux urgences liée à la rapidité de circulation des informations.

-  Retenons également la mise en synergie de différents niveaux de territoire. Malgré des loupés et des difficultés, il existe un maillage réactif mettant en résonance le cas particulier d’une famille dans une école de quartier avec un dispositif pouvant déboucher jusqu’à des mobilisations régionales, voire nationales. C’est bien cette capacité propre au réseau qui a permis de déjouer des stratégies d’éloignement de familles visant à empêcher les réseaux locaux d’agir... le relais étant alors pris par d’autres groupes locaux ! Cela a été le cas pour la famille Raba de Lyon qui a été accompagnée par des mobilisations sur tout le territoire, en fonction des déplacements imposés par l’administration à cette famille. Cela a aussi fonctionné pour la famille de la petite Nelly à Toulouse, qui a pu bénéficier d’une très efficace réaction du réseau marseillais, alors que cette famille avait été conduite sans raison objective dans le centre de rétention de cette ville.

-  Enfin, le combat mené concerne les personnes à des titres différents. Les enseignants, présents dès l’origine du mouvement, sont directement concernés en tant que porteurs vis-à-vis de leurs élèves de principes dont ils ont le sentiment qu’ils sont violés sous leurs yeux. Les parents d’élèves également réalisent, souvent avec surprise dans leur vécu quotidien,à l’occasion des goûters, à la sortie des classes que les enfants et que leurs parents sans papiers sont des « personnes vivantes » très proches d’eux, partageant joies et peines, et ne supportent pas la violence qui leur est faite. Ceci peut être élargi à l’ensemble des citoyens qui constituent le réseau, le bénéfice de ces actions étant de faire sortir les sans papiers de l’ombre, leur donnant des histoires de vie, des visages, des voix... alors qu’ils étaient jusque là rejetés dans l’anonymat, quand ce n’est pas classés dans des catégories douteuses ou dangereuses : profiteurs, délinquants, terroristes...

Notons à ce propos que si les enseignants sont présents depuis le début de la mobilisation, il n’en a pas été de même en ce qui concerne les travailleurs sociaux dont, force est de constater la présence limitée. Il serait ainsi intéressant dans le cadre d’un questionnement sur « la quête de sens » du travail social d’identifier les raisons de cet investissement limité : fréquentation quotidienne de la souffrance sociale qui émousserait les capacité d’indignations et d’engagement ? Accoutumance à l’insupportable ? Sentiment d’être en porte à faux ou en contradiction entre la position professionnelle porteuse d’un mandat social et ce que ce signifie de transgression cet engagement militant ? Enfermement dans la technicité au détriment du civique, du citoyen ou du politique ?... Je dois avouer ma perplexité...

Où en est-on aujourd’hui ?

Devant les mobilisations systématiques du RESF et d’autres partenaires, le gouvernement conscient qu’il est en l’occurrence impopulaire a organisé des reculs successifs au travers, notamment, de circulaires visant à « faire baisser la tension », donnant l’apparence de libéraliser ses positions toute en maintenant une politique de dupes. Alors qu’il a certainement tablé sur un essoufflement ou une résignation des membres du réseau, il doit continuer à faire avec des mobilisation importantes, systématiques, résistant au cas par cas à la fois localement, mais aussi avec des répercussions beaucoup plus étendues... et gagnant souvent ! Bien sur des enfants et leurs familles sont arrêtés, maltraités, conduits en centre de rétention, mais RESF ne lâche rien, jouant sur tous les registres : civique, politique, juridique... face à un ministère qui, donnant des gages à la droite la plus extrême de la population, assigne à ses fonctionnaires des objectifs chiffrés : 25 000 reconduites à la frontière pour 2007...

Cette politique ne fait qu’accroître l’arbitraire, la précarité et la souffrance de quotidiens de vie humainement inacceptables. Les sort indigne fait aux sans papiers s’inscrit dans une politique extrêmement dangereuse pour les droits de chacun : chasse à l’étranger, contrôle au faciès, fragilisation des droits à l’Education et au travail, intensification ce faisant des discrimination... pour une partie de la population vivant sur notre pays, dans un premier temps...

Plus que jamais il s’agit de ne pas baisser les bras et de maintenir une mobilisation qui doit nous permettre de garder tous les enfants à l’école et qui témoigne que, pour nous, tout être humain est digne de respect et que nous faisons toujours vivre l’injonction de Kant : « Traite toujours en toi et en autrui l’humanité comme une fin, jamais comme un moyen. »

Jean François MIGNARD

LDH Toulouse, Membre de RESF 31

août 2007


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